Aux côtés du Capitaine Jean-Luc Picard, le personnage de William T. Riker est entré dans la légende "Star Trek" au même titre que le Capitaine Kirk, ouvrant à son interprète la voie de la reconnaissance et du succès incontesté. Après plus de 10 ans d'existence, "Star Trek" a offert à Jonathan Frakes le goût de la science-fiction mais également celui de la réalisation. Un poste qu'il occupe pour la seconde fois avec "Star Trek Insurrection" après le coup de génie de "Star Trek : First Contact". Jonathan Frakes est la sympathie et le dynamisme à l'état pur, à l'image de son caractère. Rencontre au sommet avec un artiste complet…
Cine-Files : Le scénario original de "Star Trek : Insurrection" a connu de grands changements. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Jonathan Frakes : On a, en réalité, voulu donner une nouvelle dimension au scénario original, qui était très sombre, une sorte d'hommage au film noir, à l'horreur. Etant donné que "First Contact" possédait déjà ce côté obscur, on a cherché, Patrick, Rick Berman et moi-même, à changer un peu de look. On a fait du capitaine un personnage plus romantique, plus héroïque, qui n'hésite pas à prendre position au niveau politique. On a exploité au maximum le jeu de Patrick, qui est un merveilleux acteur lyrique. Son art est vraiment mis en évidence dans ce film, et je pense sincèrement que c'est l'une de ses plus grandes performances.
Cine-Files : Après avoir travaillé près de 10 ans sur la série "Star Trek : The Next Generation", on peut aisément supposer que cela a créé des liens particuliers entre les comédiens ?
J. Frakes : Oui, et bizarrement, depuis le tout début. On ne se connaissait absolument pas avant, mais on s'est mis à sortir ensemble le vendredi après le boulot. On est allé aux mariages des autres. On joue avec leurs enfants, on part en vacances ensemble. C'est vraiment une ambiance particulière, et je crois que ça se ressent dans le film. Se rendre au studio chaque matin représente pour nous une sorte de "nouvelle aventure".
Cine-Files : La scène du bain avec Marina Sirtis est-il l'exemple du privilège d'être acteur-réalisateur ?
Jonathan Frakes : Oui, c'est un des avantages, en effet. Surtout quand les autres travaillent pendant ce temps là !
Cine-Files : Pensez-vous que le succès de "Star Trek" provient de son contexte et son message politique ? Diriez-vous que c'est ce qui différencie "Star Trek" de "Star Wars" ?
J. Frakes : Je dirais que "Star Trek" possède un côté plus familial que "Star Wars". L'imaginaire y tient une place plus importante. C'est un peu le futur dont tout le monde rêve : les gens se respectent mutuellement, possèdent le sens de l'honneur, il n'y a pas de jalousie, de bassesse. On offre une vision positive de notre monde, et vu la façon dont le monde tourne actuellement, les gens sont touchés par cette approche. Ça leur plaît. Ils aimeraient être comme ça, et nous aussi d'ailleurs !
Cine-Files : Vous semblez très content de la qualité de l'interprétation et de l'univers de Gene Rodenberry en général. Ne trouvez-vous pas cependant que durant ces quelques dernières années, l'univers original est justement en train de changer, surtout avec "Deep Space Nine" et l'arrivée des maquis ?
J. Frakes : Oui, mais je pense que cette évolution était nécessaire. Finalement, on s'est dit que ce n'était pas normal, un monde sans corruption, sans vanité, sans toutes ces puissances négatives qui rongent les êtres. J'aime assez cette idée. Elle donne une dimension plus réaliste à notre univers. Et elle permet à Picard de se démarquer encore plus, d'incarner justement cette pureté, cet héroïsme, d'être le défenseur des valeurs morales.
Cine-Files : Avant de rejoindre l'univers de "Star Trek", étiez-vous déjà passionné par la science-fiction ?
J. Frakes : Pas du tout. Lorsque j'ai mis le premier pas dans le vaisseau spatial, j'ai eu l'impression de débarquer dans un univers étrange. C'était totalement nouveau pour moi. C'est peut-être la raison pour laquelle ça marche si bien pour moi.
Cine-Files : Quelle est votre attitude face aux fans ?
J. Frakes : Je crois que c'est essentiel, et amusant à la fois. Je suis littéralement sidéré de voir les gens obsédés à ce point par "Star Trek". Mais je trouve que c'est finalement assez positif. Ils créent des liens, et organisent des rassemblements. Je me suis rendu à plusieurs conventions. Il y avait des milliers de personnes, la plupart en costumes, qui criaient, c'était vraiment le délire. Ça fait un bien fou de voir ça.
Cine-Files : Aujourd'hui, vous considérez-vous davantage acteur ou réalisateur ?
J. Frakes : Ça me plairait de revenir derrière la caméra. Mais je viens de terminer un tournage en tant qu'acteur et il faut avouer que ça fait du bien de se laisser diriger, de se dire que les problèmes, c'est quelqu'un d'autre qui va les régler !
Cine-Files : Avez-vous déjà de nouveaux projets en tant que réalisateur ? On parle notamment de "Total Recall 2"…
J. Frakes : Cela va dépendre de Schwarzenegger. Il a reçu le projet. Mais comme vous le savez, c'est une véritable star et son emploi du temps est très chargé. On verra, je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.
Cine-Files : En tant que réalisateur, vous avez travaillé pour la télévision et pour le cinéma. Est-ce très différent ? Avez-vous une préférence ?
J. Frakes : Sincèrement, tourner au cinéma est une des choses les plus fabuleuses au monde, parce l'imagination est votre seule limite. Il faut aussi se surpasser, parce que tout est plus grand ; les moyens, les gens, les plans. Il faut souvent refaire les scènes plusieurs fois avant d'obtenir ce qu'on désire à l'écran. Il y a beaucoup plus de mouvement. C'est vraiment différent, et passionnant au niveau des effets visuels.
Cine-Files : Aimeriez-vous réaliser des films qui ne soient pas de science-fiction ?
J. Frakes : Oui, ça me plairait beaucoup de sortir de l'image "science-fiction". J'aimerais réaliser une comédie romantique. J'ai lu dernièrement un livre absolument fantastique. C'est une sorte de drame contemporain, nettement plus proche de l'univers dans lequel j'évolue habituellement. J'aime beaucoup la science-fiction, l'action… Mais maintenant, je pense que ma femme serait contente de me voir réaliser un film qui met en scène des gens "normaux", qui conduisent une voiture, vont faire leurs courses au supermarché, quelque chose de plus réaliste, en somme.
Cine-Files : Stanley Kubrick disait que la réalisation pouvait parfois s'avérer pénible, frustrante, mais que la joie que l'on ressent après vaut toutes les souffrances. Partagez-vous cette opinion ?
J. Frakes : Tout à fait. Mon père m'a laissé voir des extraits de "2001". Je me souviens encore de ce que j'ai éprouvé alors. C'était tout à fait exceptionnel. C'est très intéressant de voir que parfois, ce sont des petites scènes qui vous marquent le plus. Comme celle où les deux acteurs jouent au tennis. Sous le prétexte d'un simple jeu, les dialogues les entraînent dans des réflexions sur la politique, la philosophie. C'est magnifique, cette scène possède une réelle profondeur.
Cine-Files : On a l'impression qu'il sera de plus en plus difficile de sortir un nouveau film "Star Trek" original, au vu des centaines d'histoires déjà tournées. Comment pensez-vous résoudre ce problème ?
J. Frakes : Le plus gros problème, c'est de se référer à chaque fois à l'Enterprise. Je me soucie en effet de savoir comment réussir pour Star Trek 10, (d'ici 3 ou 4 ans), à introduire des nouveaux personnages, qui viennent de Deep Space Nine, de Voyager, ou des personnages plus anciens encore. On peut imaginer utiliser les flashbacks. Mais, c'est effectivement un véritable défi parce que Deep Space Nine et l'Enterprise évoluent à la même époque, et dans la même partie de la galaxie, alors que Voyager évolue dans le quadrant Delta. Donc, je ne sais pas. Soit, on les fait rentrer, soit on imagine autre chose. On trouvera bien.
Cine-Files : Qu'aimeriez-vous personnellement changer dans l'univers de "Star Trek" ?
J. Frakes : Changer ? On pourrait peut-être en faire une comédie musicale… (rires)
Cine-Files : Qu'en est-il du film IMAX ?
J. Frakes : Ça fait maintenant deux ans environ qu'on travaille sur ce projet, mais je crois que le dernier script a été jeté à la poubelle il y a un an. Normalement, le film aurait du être terminé avant la sortie de "Star Trek : Insurrection", mais on connaît vraiment de gros problèmes de script.
Cine-Files : J'ai entendu dire que vous jouez du trombone
J. Frakes : Oui, tous les samedis matins. Mes enfants adorent…
Cine-Files : Vous semblez apprécier la musique. Que pouvez-vous nous dire sur le choix de Jerry Goldsmith pour le soundtrack de "Star Trek : Insurrection" ?
J. Frakes : Le choix s'est imposé à nous de lui-même. Jerry Goldsmith est vraiment génial. Vous savez qu'il a plus de 70 ans. Il est vraiment étonnant. Et en plus, c'est un vrai gentleman. Il prend des notes, et il n'hésite pas à adapter sa musique en fonction de ce qu'il ressent face à la scène. C'est quelqu'un d'extraordinaire.
Cine-Files : Vous le choisiriez comme compositeur pour un autre type de film ?
J. Frakes : J'aimerais beaucoup, mais il faudrait un solide budget…C'est comme James Horner, qui a réalisé la musique de Titanic. Ils sont excellents, mais le budget doit pouvoir suivre…
Cine-Files : Il était fascinant de retrouver la romance entre Riker et Troi, mais également un peu décevant, parce qu'on sait dès le début comment va se terminer votre relation. Dans le dernier épisode de la série, vous êtes vieux, vous êtes séparés et Troi est sur le point de se marier avec Worf.
J. Frakes : Je ne suis absolument pas d'accord, on va changer tout ça. Comme si j'allais la laisser partir avec Worf. Pas question ! (rires)
Cine-Files : Quelles sont vos relations avec Rick Berman, producteur de "Star Trek" ?
J. Frakes : Merveilleuses. La femme de Rick est la marraine de mon fils. On fête Noël et les anniversaires ensemble. Nous sommes vraiment très liés.
Cine-Files : N'est-il pas justement plus difficile de travailler avec lui dans ces conditions ?
J. Frakes : Pas du tout. On a la même sensibilité. On a les mêmes goûts musicaux. Il m'a laissé filmer comme je le voulais, parce qu'il aime ma façon de faire. On a les mêmes idées sur les personnages. On voulait tous les deux Marina, et comme elle était libre à ce moment là, on a sauté sur l'occasion. On a les mêmes centres d'intérêt. Quand il a su que je venais à Bruxelles, il m'a dit de m'assurer qu'on m'offrirait un bon repas ! C'est vraiment un chouette type. Il ne se prend vraiment pas la tête. Si c'est bon pour moi, c'est bon pour lui. Je suis très content, parce que je peux faire ce que je veux. En fait, si on a tourné ce film ensemble, c'est parce qu'on est à la fois soudés et complémentaires : lui, il voit les petits détails, et moi j'ai plutôt une vue d'ensemble.
Cine-Files : Pourquoi n'avez-vous pas eu recours aux effets spéciaux de ILM pour cet épisode de "Star Trek" ?
J. Frakes : Ils étaient tout simplement absorbés avec " Star Wars ". Et en plus, ils sont beaucoup plus chers que les autres équipes d'effets spéciaux. Vous savez, on n'a pas perdu au change. Notre équipe a fait un boulot formidable pour un prix très raisonnable. On a changé la fin et ils l'ont bouclée en trois semaines. Ils sont vraiment excellents, et ils sont 4 millions de dollars moins chers que ILM !
Cine-Files : On connaît votre passion pour la comédie et la réalisation. Avez-vous d'autres centres d'intérêt dans la vie ?
J. Frakes : J'adore skier, je joue au tennis, je joue du trombone et j'ai deux petits enfants. Ce que je veux, c'est pouvoir rentrer assez tôt chez moi pour profiter de ma famille. Je me suis aussi mis aux séries télés. J'en ai produit deux, et je joue également dans une des deux. J'aime la télé, c'est cool.
Cine-Files : Vous croyez qu'un jour, on pourrait arriver à vivre dans un monde semblable à celui décrit dans "Star Trek" ?
J. Frakes : On pourrait l'imaginer, et ce serait formidable. Quand on voit le racisme et les conflits actuels, ça me désole, ça n'avance vraiment à rien... Rodenberry m'a dit, un jour où j'étais passé dans son bureau, qu'il croyait profondément qu'on pouvait arriver à faire changer les choses. Quand il m'a expliqué l'univers de Star Trek, j'ai vraiment eu envie de le suivre dans cette aventure. Dans sa conception du 24e siècle, la faim, la cupidité et toutes ces choses qui pourrissent les relations humaines auront disparu, et tous les enfants sauront lire. Cela semble si merveilleux. Comment voulez-vous ne pas y croire ? |